Saison 2

S02E10 - Mehdi Kerkouche, Chorégraphe et Metteur en Scène

Vous avez sans doute en tête cette vidéo devenue virale qui nous a fait un bien fou pendant le (premier) confinement, sur une musique de Barry White (tapez dans google : « chorégraphie confinement »). C’est Mehdi, un chorégraphe surdoué qui s’ennuyait dans son 35 m2 qui en est à l’origine… Et depuis, son monde a changé ! Dans cet épisode de SOLD OUT, Mehdi nous raconte les « mille vies » qu’il a eues avant cette idée qui l’a mis sous les feux des projecteurs. Et toutes les étapes qui l’ont amené jusqu’à la scène de l’Opéra de Paris, cet automne. Humble, enthousiaste, sans filtre, Mehdi est le remède idéal à cette morosité qui nous guette tant ces temps ci. Il montre que tout est possible et fait même appel à un "vrai" producteur avec qui il rêve de collaborer pour se concentrer sur son travail artistique. Cet épisode sera prochainement remboursé par la Sécu, c’est certain. Et si le lobbying des tristus gagne, une chose est certaine : dans 31 minutes, vous aurez une envie dingue de danser <3

Sold Out Mehdi Kerkouche

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SOLD OUT - Saison 2, épisode 10 : Mehdi Kerkouche 

Bonjour et bienvenue dans « Sold Out » ! Je suis Marc Gonnet.

Je suis ravi de vous accueillir aujourd’hui parce qu’on reçoit quelqu’un qui, à lui tout seul, incarne l’espoir, l’enthousiasme et l’envie. Quand on l’écoute, c’est un remède contre la dépression et je crois vraiment qu’en ce moment, on en a besoin !
En plus, on va parler avec lui d’une « esthétique » dont on n’a pas encore parlé dans « Sold Out » : la Danse.

Bonjour Mehdi Kerkouche !

Bonjour Marc !

Ça me fait un plaisir « dingue » de te recevoir.

Merci pour cette « entrée en matière », c’est très gentil ! 

Entre l’Opéra en novembre et cette vidéo « virale » en mars, avec tous ces Danseurs (dont on va reparler dans le podcast), il y a eu plein de choses…
Il y a surtout eu beaucoup d’autres choses dont on va parler dans « Sold Out », qui commence maintenant !

Mehdi Kerkouche, premier billet vendu ?

Si je remonte à « jadis », « naguère », dans ma jeunesse et à mon premier spectacle de danse… ça devait être quand j’avais 16 ou 17 ans. J’étais dans ma toute première Compagnie de Danse et on faisait la Première Partie d’un spectacle d’humoristes à Saint-Germain-en-Laye.

Dernier billet vendu ?

Dernier billet vendu… [Rires] La chance que j’ai eue c’est qu’on est « passés entre les gouttes », avec ma Compagnie, entre le premier et le deuxième confinement : on a pu jouer trois dates de notre premier spectacle en octobre dernier.
Sinon, grâce à l’Opéra, on a joué en direct sur Facebook le spectacle qu’on aurait dû présenter au mois de novembre à l’Opéra de Paris. Donc, ce serait ça.

Je suis Mehdi Kerkouche et je suis Chorégraphe.

Alors Mehdi… Qui es-tu ? Es-tu Danseur, Chorégraphe, Metteur en Scène ou Professeur ?

Je suis « tout ça en même temps » !
En tout cas, j’ai un vrai plaisir et une vraie démarche artistique dans tous ces domaines, et j’essaie de m’y donner à fond à chaque fois.

Pour te présenter un peu : tu as beaucoup travaillé « dans l’ombre » au début. Tu étais peut-être moins mis en valeur…

J’ai fait les deux : je n’ai pas arrêté de « jongler » entre « devant » et « derrière » le Plateau.

Ça a commencé comment ? 

Mon tout premier job était de donner des cours de danse. A l’époque, j’étais « pris sous l’aile » d’une Professeure de danse qui avait vu un petit talent en moi et m’avait dit : « tu vas danser, tu vas devenir Danseur… Viens, suis-moi ! ».
Elle m’a dit : « Challenge : tu vas donner des cours de danse aux enfants ! ». Je lui ai dit : « c’est un peu l’enfer ! » : quand tu as 16-17 ans, que tu es « speed » et que tu rêves de travailler avec tous les « grands », tu n’as pas du tout envie de travailler avec des enfants.
Les enfants c’est un « enfer » en termes d’énergie ! Canaliser l’énergie d’un groupe d’enfants de 8 à 10 ans c’est très compliqué… mais c’était mon premier défi en tant que Professeur de danse !

Ensuite, j’ai commencé à passer des auditions. J’ai rencontré Kamel Ouali, qui m’a « pris sous son aile » et qui m’a offert mon premier contrat dans un grand spectacle : Danseur sur Le Roi Soleil.
Sur Le Roi Soleil, Dove Attia (le Producteur du Spectacle) m’entend chanter dans les coulisses, et me dit : « Tu chantes pas mal ! Je vais t’offrir des cours de Chant avec notre Coach Vocal parce que pour la Saison prochaine, Christophe Maé n’a pas de doublure. C’est un peu le feu-follet du spectacle : il bouge et chante beaucoup… cela vaudrait peut-être le coup qu’on te coache pour voir si tu serais capable de le remplacer pour une Saison 2 ».

Une semaine après, Christophe Maé s’est fait une entorse sur le Plateau…

Tu l’as poussé ? [Rires]

Je l’ai complètement « poussé » parce que je me suis dit : « C’EST MON HEURE DE GLOIRE ! » [Rires]
Non… Christophe Maé tombe sur scène, tu le vois « tomber au ralenti », et là tu te dis : « Non… ce n’est pas possible les gars ! On a parlé de l’année prochaine, on n’a pas parlé de ce soir ! » …

Du coup, j’ai dû remplacer Christophe Maé « au pied levé » pendant un mois de tournée sur Le Roi Soleil alors que je n’avais pas de formation de Chant. Des Producteurs m’ont repéré et se sont dit : « Et si on lui donnait un rôle dans « Cléopâtre » ? »
C’était une comédie musicale de Kamel Ouali, où je jouais le rôle du frère de Sofia Essaïdi. 

Je l’ignorais… 

J’ai fait MILLE « TRUCS » ! J’ai eu MILLE « VIES », Marc Gonnet ! [Rires]

C’est pour ça que j’essaie souvent de passer « en sous-marin » en disant : « Non mais… je suis là ! Regardez ! » [Rires]

En plus d’être sur scène, tu étais aussi dans la coulisse : tu étais Assistant Chorégraphe ou Chorégraphe de comédies musicales ! 

Exactement ! 

Je t’ai connu sur Salut les copains !, sur Disco… Tu fais aussi Miss France…

Exactement !
J’ai « vraiment » commencé en étant sur la scène, en travaillant sur ces comédies musicales et sur les spectacles de Kamel Ouali. A côté de ça, je continuais de donner des cours de danse, etc.

Ensuite, Stéphane Jarny a fait appel à moi. Il allait signer sa première mise en scène qui s’appelait Salut les copains !
A l’époque, il était également Chorégraphe, mais il s’est très vite rendu compte qu’il était impossible de « tout faire » sur un spectacle, qu’il fallait savoir déléguer pour que les choses se passent bien. Du coup, il m’a appelé pour ma première mission en tant que Chorégraphe.

Stéphane Jarny est très fidèle en amitié et en travail.
Etant en charge de mettre en scène énormément d’émissions de télévision (il travaille sur The Voice, Les Victoires de la Musique, La Fête de la Musique, l’Eurovision), il a commencé à me déléguer des missions sur lesquelles il était de moins en moins présent.

J’ai enchaîné avec Disco, puis j’ai commencé à monter mes projets parce que j’en avais un peu « marre » de suivre les projets des autres…

C’est vrai que ce n’est pas facilement lisible !

On a parlé de plein de métiers différents, dans la coulisse et sur scène. On a parlé de plein de débouchés différents : la Télévision, le Cinéma, la Scène, les Défilés… et pour ne rien simplifier, il y a aussi plein « d’esthétiques » différentes : du Hip Hop, de la Variété, du Modern Jazz, de l’Opéra…

Exactement ! 

C’est quoi le « style Medhi Kerkouche » ?

Je ne sais pas ! [Rires]

Je me suis toujours dit que je voulais être un « Couteau Suisse » : j’ai toujours voulu être capable de toucher à tous les domaines et d’y apporter une énergie, une présence qui marque.

Quand j’étais gamin, j’étais fan de Michael Jackson, de Janet Jackson, de Madonna : des artistes qui dansaient et qui chantaient en même temps. Je regardais des films et des comédies musicales où les artistes étaient capables de « tout faire en même temps ». Fred Astaire chorégraphiait ses parties dans ses films. Bob Fosse, un des plus grands Metteurs en Scène et Réalisateur du siècle dernier (qui pour moi est un Dieu-vivant en termes de mise en scène et de spectacle), a mis en scène les Comédies Musicales Chicago, Cabaret (pour lequel il a eu un Oscar) et All That Jazz… Il était le premier Metteur en Scène-Chorégraphe parce qu’il avait ce soin « léché » sur l’Esthétique, le Visuel, etc.

Ce côté « couteau-suisse » : « j’ai choisi de ne pas choisir » 

Oui ! Après, il y a aussi la « folie » !
Je suis quelqu’un de « sanguin » : je dis toujours « oui » et je réfléchis après…
Du coup, si on m’appelle et qu’on me dit : « Est-ce que tu es prêt à faire une chorégraphie pour l’Opéra de Paris ? », je dis : « mais GRAVE ! », et après : « Oh merde… » [Rires] : d’abord je ne réalise absolument pas la pression et le stress que va engendrer l’envie de bien faire, etc… je me dis juste que j’ai très envie de le faire et suis hyper excité à l’idée d’avoir un nouveau projet !

J’y vais « à fond » et on verra ce que ça donnera ! Pour l’instant, ça se passe bien…

Un de tes projets où tu as été le plus exposé sur scène, c’est celui du premier album de Christine and the Queens : pendant trois ans tu étais carrément sur scène presque tous les soirs (ou en tout cas très régulièrement), dans le monde entier…

Exactement. C’était une grande chance !
C’est « rigolo » parce que Christine est entrée dans nos vies et personne ne la connaissait !

Héloïse Letissier, à l’époque…

Exactement, c’était Héloïse. 
C’était très drôle : on s’est rencontrés grâce à Marion Motin, la Chorégraphe de ce premier album qui s’appelait Chaleur Humaine…

Dont on a déjà parlé dans un épisode de la saison dernière de « Sold Out », avec Gilles Mattana, son Producteur…

Exactement ! 

Marion Motin a proposé plusieurs profils de Danseurs et Christine a retenu quatre Danseurs pour partir en tournée avec elle.
C’est très drôle parce qu’elle n’a choisi que des « potes » ! [Rires] On est donc partis en tournée « entre potes » pendant trois ans ! Ce n’était pas Christine qui nous embarquait en tournée avec elle, c’était plutôt nous qui embarquions Christine dans la « folle virée » ! C’était assez rigolo !

On a vécu trois ans de tournée assez fous. Quand on a rencontré Christine, l’album n’était pas encore sorti : on ne mesurait donc pas l’ampleur que ça pouvait prendre… On avait juste envie que le projet se passe bien parce que musicalement on trouvait ça « cool » ! 

Tu avais dit « oui » avant que « le feu ne prenne », si j’ose dire…

Grave !

Quand Marion m’a appelé, elle m’a dit : « je vais chorégraphier une Artiste, elle s’appelle Christine and the Queens ». J’ai dit : « ah, trop bien ! Il y a trois ans j’ai acheté son E.P. ! [Extended Play] »

Son premier E.P. était sorti trois ans avant. Il y avait quatre titres dont une première version de « Christine » qui s’appelait « Cripple » à l’époque.

J’ai dit : « j’avais grave kiffé à l’époque, donc ça peut être rigolo ! »

Ce que je retiens depuis Rueil-Malmaison jusqu’à Christine and the Queens, c’est un « foisonnement de dingue » : plein « d’esthétiques », plein de métiers… tu dis « oui » à tout…

Peut-être que le moment où tu te rends compte de la responsabilité qui commence à peser sur tes épaules, c’est quand tu montes ta Compagnie en 2017 ?

Là je mets « les pieds dans le cambouis », effectivement.

En tant que Chorégraphe, Assistant-Chorégraphe ou Danseur, on m’a toujours « missionné » énormément de responsabilités administratives. Derrière, je gérais le planning de mes Danseurs, je mettais en connexion le Stylisme, les Studios de répétition, les Danseurs, toute le partie Logistique, etc… 

On est dans une économie où ces postes-là n’existent pas, tout simplement. On se dit juste que le Chorégraphe devient le leader de son équipe, et mène son équipe. 

J’avais déjà monté des petits projets vidéo qui avaient fonctionné sur les réseaux sociaux et j’avais fait une vidéo de Noël où j’avais tout monté « de A à Z » et avais sollicité trente Danseurs, etc.
J’avais fait une autre vidéo « pareille », et je me suis dit : « Monter ma Compagnie, je suis capable de le faire aujourd’hui. Let’s go ! »

Aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’il y a énormément d’accompagnement pour les Comédiens et les Chanteurs, mais que la Danse est vraiment un art méconnu.
L’Opéra de Paris est la maison d’excellence française. C’est cette année, en y travaillant, que je me suis rendu compte que mon métier était un Art. Depuis des années que je « vis » mon métier, c’est de la « débrouille » : on n’a pas forcément les moyens à disposition pour répéter et travailler correctement.

Ah oui… C’est « à l’arrache.com » !

Exactement, c’est mon « mot d’ordre » ! C’est exactement ce que je dis d’habitude [Rires] pour donner les informations à mes Danseurs : « C’est à l’arrache.com ! »

En plus, j’ai monté ma Compagnie et personne ne me connaissait  !
Je venais de ce qu’on appelle le « milieu commercial » : je travaillais à la Télévision, avec des artistes…
On ne voyait pas ce qu’un « mec » qui est capable de « faire danser » pour l’Eurovision est capable de raconter sur un Plateau pendant une heure (quand on parle de « Danse à 100 % sur un Plateau ») !
Comme j’aime bien les défis et que j’ai toujours dit que j’avais « des trucs à dire », je l’ai fait en espérant que ça se passe le mieux possible ! 

J’ai monté ce projet il y a trois ans. Au départ, personne n’y a cru et ne m’a accompagné.
J’ai donc découvert ce qu’était, administrativement, de monter une Compagnie, de monter une Association, de produire un spectacle. J’ai monté mon premier spectacle seul : je n’ai pas eu de soutien, d’aide ou d’accompagnement.

C’est la première fois que tu te posais la question de faire venir le Public dans une salle, finalement ?

Même pas ! J’ai envie de te dire que je ne me suis pas posé cette question-là !

Quelque part, ça ne m’étonne pas… C’est ça qui est fascinant !

Dans la démarche, les premières questions que je me suis posé sont : « Qu’est-ce que je vais raconter ? », « Comment je vais le raconter ? » et « Est-ce que je vais y arriver ? »

Tu te dis que « le reste va suivre » …

« Si j’ai une idée de merde, ça ne marchera pas ! » [Rires] « Si j’ai une bonne idée, les choses vont découler et vont se faire naturellement ».

Quand je rencontre des étudiants et que je leur parle de Marketing, je commence tout le temps mon cours en leur disant : « Même si vous avez la meilleure idée du monde, personne ne vous attend jamais ! »

Toi, quelque part, tu te dis (ce que je trouve encore une fois fascinant) : « si j’ai une bonne idée et que je suis bon, ça viendra derrière… » ?

Tu as complètement raison dans ce que tu présentes à tes élèves !
Je n’attends pas qu’on me prenne par la main pour monter des choses. Si je ne les monte pas et que je ne montre pas « par A + B » que ça existe et que c’est faisable, personne ne va venir me prendre par la main ! 

La Compagnie a commencé comme ça : j’ai fait une présentation que j’ai mise en vidéo sur les réseaux sociaux, et… 

« Oh ! C’est hyper bien ce que tu fais ! Et si tu montais ton spectacle… ? On va te l’acheter à Madrid… »

… et les choses se mettent en place ! 

La différence par rapport au fait « d’attirer le Public », c’est que ce sont des spectacles « en sessions » : une fois que tu as fait un spectacle, tu le vends à des gens qui vont essayer d’attirer le Public. C’est ça ?

C’est exactement comme ça que ça se passe dans la Danse !

Ce n’est pas toi qui vas coller des affiches dans la rue ou envoyer des Newsletters

Non ! [Rires]

Tu n’as pas de Service Marketing chez EMKA, quoi !

Non. Aujourd’hui, il n’y a même rien chez EMKA !
Je n’ai pas créé ce nom en me disant : « les gens vont tout de suite voir que ce sont mes initiales ».
L’objectif était de trouver le nom d’une marque qui ne m’enferme pas artistiquement.
Je ne voulais pas l’appeler « Mehdi Kerkouche Compagnie », car si je n’ai plus envie de chorégraphier dans dix ans mais que j’ai envie que mes Danseurs continuent de travailler avec un autre Metteur en Scène, je veux que ce soit possible.

Je me suis donc dit, astucieusement : « je vais mettre mes initiales et ajouter une lettre avant et une lettre après, en prenant soin de vérifier si cela existe ou pas » … EMKA est aussi une société de robinetterie en Slovénie, je crois. [Rires]

Ça doit pouvoir se gérer… ou ça peut mal finir ! [Rires]

« Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus », Pina Bausch : une « idole absolue » pour tout le monde, en fait…

En fait, j’ai une Culture de la Danse qui est arrivée très tard.
Là d’où je viens, la Culture c’est la Télévision. La Danse est très peu mise en avant à la Télévision et dans les Médias. C’est un art assez méconnu pour un Public très averti, parce que Chaillot, parce que « les théâtres », parce que Télérama, parce que « l’Opéra » … 

Je me suis fait ma « Culture de Chorégraphe » sur le tard, parce que les premières références que j’avais étaient à la Télévision : Michael Jackson, Janet Jackson, Madonna, etc.

Normalement, tout le monde est hypnotisé par une pièce de Pina Bausch ! Il y a une « esthétique », une gestuelle, un message. Il y a toujours un « truc sournois et coquin » derrière Pina : tu penses que tu vas voir un « truc léger », et finalement tu te fais « attraper par le truc » car c’est bien plus profond que ce que tu pensais !
Elle a cette phrase ultra connue : « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus », qui a été le point de départ de ma Création à l’Opéra. 

C’est aussi le point de départ de ce moment qui, peut-être, a changé ta vie…
Revenons en mars 2020. Dix jours après le début du premier confinement, il y a cette vidéo « virale » que tu mets en ligne parce que tu « t’emmerdes », en fait…

[Rires] C’est exactement ça ! 

Je suis confiné comme tout le monde, j’ai choisi de ne pas aller dans ma famille parce que j’ai un métier où j’étais précédemment « en Création » avec trois Comédiennes, leur Producteur et leur Metteur en Scène. Trois jours avant, j’étais sur un Plateau-Télé avec dix Danseurs, des techniciens, etc…
J’ai donc pris le parti de rester chez moi et de ne pas « exposer » ma famille parce que personne ne sait comment se transmet ce virus. Je reste donc dans mon 35 m², et attends que le temps passe…

Au bout de trois jours, mon hyperactivité et moi ne le vivons pas très bien !
A force de faire des « apéros » sur Zoom pour garder le contact avec l’extérieur, je me suis dit : « Si on faisait artistiquement quelque chose de tous ces écrans collés, ça pourrait être hyper rigolo ! »

J’ai donc appelé mes « potes » et leur ai dit : « Venez on fait une vidéo où on fait une chorégraphie. Je suis sûr que ça vous fera du bien et que ce sera fun ! »

Ils en avaient envie ?

Ils n’en avaient pas du tout envie ces « gros nazes » ! [Rires] C’est très drôle parce que je leur ai un peu « tiré la patte » en mode : « allez, venez ! Je suis tout seul… ça va m’amuser et ça ne vous prendra qu’une heure par jour ! »

Eux étaient confinés au soleil dans le Sud, en famille à la campagne : personne n’était « dans le même état » que moi, à Paris, dans un 35 m².
Ils ont joué le jeu : « bon, c’est bon, on la tourne parce que tu nous gonfles ! ». Ce n’est pas facile du tout à mettre en place via écrans interposés et connexions plus ou moins « merdiques » de chacun au fin fond de la France !

Au final, je publie sur les réseaux sociaux et ça fait un million de vues en 24 heures !

Les messages qui m’ont fait hurler de rire le lendemain étaient : « Génial ! On en fait une deuxième quand ? ». J’ai dit : « Ah bravo ! Il y a 24 heures vous ne vouliez plus entendre parler de moi, et maintenant vous êtes chauds pour en faire une deuxième… c’est rigolo ! » [Rires]

Ce qui est « fou » c’est que sur cette vidéo on a l’impression que l’exécution est parfaite et que tout est « nickel », mais quand tu la regardes mieux (c’est ce que tu me disais), rien n’est parfait…

Non, elle n’est pas parfaite du tout ! C’est aussi pour ça que ça a fait du bien à tout le monde : on était au début du Confinement, dans une période on ne peut plus anxiogène…
Même si aujourd’hui on en a marre et qu’on est fatigués, on arrive quand même à aller travailler, à avoir une « micro-vie sociale » si elle a lieu avant 18 heures… [Rires] j’ai envie de dire qu’on a vécu « le pire » !

Si tu regardes vraiment l’exécution de cette vidéo : non, elle n’est pas parfaite !
C’est aussi pour ça qu’elle a fait du bien : tu es enfermé chez toi, tu n’en peux plus, toute la journée on te dit qu’il y a de plus en plus de morts, de moins en moins de personnel soignant : « c’est la galère ! C’est la guerre ! », et tout à coup… Barry White te fais sourire, cinq personnes « font les cons » devant leur écran…

Tu as raison : il y a une bonne exécution car ils restent des Danseurs Professionnels, mais le bras n’est pas parfaitement bien calé ; tu vois qu’on est chez nous, en pyjama ou en jogging de danse. Il n’y a pas la prétention d’avoir vendu un spectacle ou une vidéo « surproduite ». C’est aussi pour cela que ça a fait plaisir aux gens !

Tu as fait des storyboards pour ça ?

Complètement ! J’ai pris ça très au sérieux !
J’étais enfermé chez moi, j’avais mes cahiers de travail, je dessinais l’écran, je le divisais en parties, et je disais : « si le bras passe là, je peux mettre la tête là… ». Il y avait aussi une partie d’improvisation : des fois on se retrouvait devant Zoom, j’attrapais mon verre et je disais : « Attends ! Tu as un verre chez toi ? Vas chercher ton verre… », « Mettez une bougie »

On créait. C’était « cool » ! C’était rigolo !

Après cette vidéo, tout le monde t’a interrogé. Tu as été reçu par plein de médias, il y a eu des levées de fonds au service des hôpitaux, Brigitte Macron t’a appelé… Il s’est passé énormément de choses !

Brigitte ne m’a pas appelé juste parce que j’ai fait une « vidéo rigolote » ! [Rires]
Si les gens ne connaissent pas, ils vont se dire : « c’est vraiment parti en couilles ce Pays ! » [Rires]

[Rires] Tu l’appelles Brigitte maintenant ? [Rires]

Non ! Mon Dieu… Tu m’as mis beaucoup trop à l’aise dans cette discussion !
Non, je ne me permettrais pas d’appeler Madame Macron « Brigitte », je ne la connais pas assez pour le coup !

Ensuite, j’ai eu envie de mettre la Danse en lumières.
Pendant le premier Confinement, la Culture était « au point mort ». J’avais l’impression qu’on entendait beaucoup les « Grands Artistes » : les artistes connus, reconnus, qui vendent des millions de disques, etc. C’était eux qu’on avait l’habitude d’entendre dans les médias, pas spécialement les Danseurs. 

J’ai eu l’idée de créer un marathon de danse pour remobiliser tous les Artistes, Chorégraphes et Danseurs partout en France.
Des milliers d’associations, d’écoles de danse et de jeunes futurs danseurs ne pouvaient pas danser, et on a créé un festival en ligne « à l’arrache.com » : j’ai eu l’idée un samedi et ça s’est fait le samedi suivant, en direct sur les réseaux sociaux.
On a récolté 15 000 euros pour la Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France et on a été salués par Madame Macron quelques jours après (tu as vu, je ne l’ai pas appelé « Brigitte » !) [Rires] Les médias ont communiqué sur ça et ça m’a amené une visibilité !

Et un jour, peu après ça, tu es appelé par l’Opéra de Paris

Après tout ce « barnum », Aurélie Dupont a découvert mon travail de Chorégraphe.
C’était assez confidentiel : tout le monde connaît les projets sur lesquels j’ai travaillé, mais tout le monde ne sait pas forcement que j’ai travaillé dessus ! Le Chorégraphe n’est pas forcément celui sur lequel on communique quand on parle de tel ou tel spectacle, Danseur, Chanteur, etc.

D’avoir mis mon travail « en valeur » grâce à cette action et aux vidéo, Aurélie Dupont est allée jeter un œil sur mon compte Instagram. Elle est tombée sur toutes mes vidéos de travail et sur une vidéo de ma Compagnie. Ça m’a fait plaisir parce que je me suis dit : « Au moins, elle ne m’appelle pas à l’Opéra pour faire Barry White ! » [Rires]
Elle est tombée sur un extrait de mon spectacle et m’a fait un très beau compliment. Elle m’a dit : « Je pense que mes danseurs sont complètement capables de faire ça ! Est-ce que ça t’intéresse de venir à l’Opéra à la rentrée ? 

Tu as dit « oui » et tu es rentré… bouleversé !

Qui dit « non » à ça ? [Rires]
Je lui ai dit : « Qu’est-ce que vous voulez que je réponde à ça ? » ou « Qui dit non à ça ? », j’ai dû dire les deux phrases ! J’ai dit : « Evidemment que je viens ! Avec grand plaisir, merci ! Si vous pensez que je suis capable de le faire, à moi de vous prouver que vous aviez raison ! »

Elle a pris un « gros pari » parce que c’est une soirée partagée avec trois autres chorégraphes contemporains établis : Sidi Larbi Cherkaoui qui est un grand Chorégraphe Belge, Damien Jalet et Tess Voelker (« gros pari » également parce que c’est une jeune Danseuse de 24 ans qui fait partie d’une des plus grandes compagnies de Danse Contemporaine au monde) !

Aurélie Dupont a eu l’audace de mélanger ces personnes-là et d’offrir un spectacle à l’Opéra de Paris.

Ce qui me sidère dans cette histoire (on en parle assez peu), c’est le peu de temps que tu as pour créer quelque chose entre le moment où elle te le propose et le moment où le spectacle était censé se dérouler, début novembre…

Je suis « bon » dans ça ! Je sais que ma force c’est de réagir dans l’urgence. Souvent, dans les projets sur lesquels je travaille, il y a très peu de temps de répétitions. En général, on m’appelle et on me dit : « il y a une émission de télévision, mais c’est la semaine prochaine ! », « Il faut coacher tel Artiste parce qu’il a une scène dans trois jours ! »

On a cette capacité de réactivité et à être extrêmement efficace rapidement. C’est une chance !

Du coup, qu’Aurélie Dupont m’appelle en juillet pour une création en octobre, c’était parfait !
C’était même « trop long » pour moi parce que j’ai eu l’été pour mettre toutes les idées et je n’avais qu’une impatience… J’aurais aimé qu’Aurélie Dupont m’appelle et que trois jours après je sois dans la salle !

C’était une grande chance parce que quand on est dans l’urgence, on réfléchit moins : on est plus efficace et on fait beaucoup plus confiance à son instinct et à ses envies. Quand on réfléchit un peu trop, on a le temps de revenir dessus et de se dire : « Ce n’était peut-être pas une bonne idée, je vais aller complètement à l’opposé ». J’aime beaucoup le principe que « la première idée est la bonne ».

Au total, tu en retires quoi de cette expérience ?

Pour moi c’est extraordinaire !
Aujourd’hui, ça m’a tout apporté. Ça m’a aussi permis de prouver qu’effectivement, en tant que Chorégraphe tant pour ma Compagnie que pour mon nom, j’ai des choses à raconter et j’arrive à les raconter sur le Plateau.


C’est extrêmement important pour moi parce qu’à l’avenir, mon ambition est de mettre en scène et d’avancer « de cette manière ».

C’est une grande chance : ça a permis au monde entier (l’Opéra a cette portée) de découvrir un jeune Chorégraphe.

Les Danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris n’en revenaient pas de la manière dont tu les traitais !
Depuis que je te connais, tu appelles toujours tout le monde « mon petit chat » … Tu les appelais comme ça ?

Oui ! Je les appelle « mes petits chats » parce qu’il n’y a pas de barrière, parce qu’ils restent des Danseurs ! Ça m’a fait du bien parce que je suis arrivé là-bas en me mettant énormément de pression et en me disant : « Ouaw ! Ils sont là-bas, c’est hyper institutionnalisé, je ne viens pas de là du tout : j’ai commencé la danse dans une M.J.C., c’est un milieu inconnu ! ».
J’y suis entré, et le premier jour je me suis rendu compte que c’était des gens très simples, que tous mes Danseurs étaient vraiment des « petits chats ». Il n’y en a pas un qui danse pareil.

Quand tu regardes une pièce de l’Opéra, tu imagines tout de suite Le Lac des Cygnes : ils sont tous habillés pareil… En réalité, dans la salle, il n’y en a pas un qui a le même jogging, la même manière de parler, le même bagage. Ils sont tous très différents et sont tous très jeunes ! Ceux que j’avais dans mon ballet avaient entre 18 et 35 ans et auraient pu être mes amis de tous les jours ! J’ai donc essayé de « casser » cette distance.

C’est rigolo parce qu’ils me l’ont dit après : « On n’a pas du tout l’habitude de ça ! Normalement, le Chorégraphe est à trois mètres de nous, et voilà… ». Moi, j’étais sur le Plateau avec eux pour tout « monter ». Je ne pense pas être le seul ! Je ne m’attribue aucune fleur à ce niveau-là…

Effectivement, je les appelle « mon petit chat » parce que j’appelle tout le monde « mon petit chat » !


Au total, il y a beaucoup de gens qui ont vu ce spectacle en live streaming sur Facebook ou sur les réseaux de l’Opéra ?

Au final, il y a eu 10 000 spectateurs sur ce Facebook Live. Ils étaient assez satisfaits du résultat parce qu’après je sais qu’ils ont fait La Bayadère en décembre et il y a eu le même nombre de spectateurs.
Cela veut dire que le Public est fidélisé. Je ne suis même pas sûr que ce soit le même Public entre cette soirée contemporaine et une soirée très classique.

En tout cas, il y a eu suffisamment de spectateurs pour leur donner envie de continuer et d’ouvrir leur propre plateforme. Je pense que pour eux c’est un succès !

Cela dit, c’est quand même vachement malin d’avoir fait ça ! Avec ce programme sans doute destiné à un Public peut-être plus jeune ou plus moderne que certains spectateurs de l’Opéra, c’était l’occasion d’aller « tester des trucs » payants avec Facebook ! C’est quand même génial !

Exactement !

Ils l’ont mis en place et aujourd’hui ils ont ouvert leur plateforme, L’Opéra chez soi, où ils offrent les « vidéos à la demande » de leurs spectacles et certaines prestations en direct.
A l’Opéra de Paris, ils ont cette chance de continuer de répéter et de monter les spectacles. Ils suivent la Programmation qui était prévue cette année.

Dans l’équipe de Delight il y a une jeune fille, Lisa, qui danse beaucoup toute la semaine. Elle n’en peut plus de ne pas réussir à danser, de ne pas être dans les studios…
Qu’est-ce qu’on dit à Lisa et à toutes les jeunes filles comme Lisa ?

De continuer de trouver le moyen de « kiffer » et de danser malgré tout, même si c’est chez soi, même si c’est enfermé dans sa chambre, avec un casque.
De ne surtout pas arrêter, de ne pas « lâcher l’affaire », parce que ça va rouvrir et qu’on va reprendre. On ne sait pas quand, mais ça va arriver !
D’y croire grave, parce que tout le monde danse tout le temps ! Il n’y a donc pas de raison que ça ne reprenne pas un jour ! 

Question de novice que je voulais te poser : je crois qu’une des raisons pour lesquelles tu as justement créé cette Compagnie, c’est que tu ne voulais pas dépendre de quelqu’un d’autre, et t’exprimer…

En tant que Chorégraphe, j’ai toujours été au service d’un Metteur en Scène. J’ai toujours eu « une commande ». On m’appelle et on me dit : « Voilà, le thème c’est le Disco… Qu’est-ce qu’on en fait ? »

Là, j’avais juste envie de dire : « C’est moi qui impose le thème… Qu’est-ce que je suis capable de faire là-dedans ? »

Par contre, tu n’as pas envie d’aller jusqu’à te dire : « je vais maîtriser toute la chaîne de la Diffusion, la Production » ?

Je ne veux pas de ça, je suis artiste !

C’est intéressant !

Je suis devenu Producteur malgré moi, et tant mieux ! J’ai appris énormément, et aujourd’hui je gère ma Compagnie administrativement « de A à Z » depuis trois ans : les embauches, les théâtres, les dossiers, l’URSSAF…
J’ai fait une formation accélérée (sans mentor), et j’ai « roulé ma bosse » de ce côté-là.

Personnellement, je me considère comme un Artiste. Je prends énormément de plaisir à réunir tous les corps de métier qui vont m’aider à mettre en scène un projet : appeler mon Eclairagiste parce que j’ai confiance en lui, aller chercher mes Danseurs parce que tel ou tel artiste sur le Plateau ça va être super…

J’ai cette démarche artistique mais ça me gonfle de devoir réunir les coordonnées sociales de tout le monde pour les communiquer à la Comptable… Je suis un Artiste et un Producteur, malgré moi !
C’est extrêmement gratifiant de monter un projet, de le voir se mettre en place et que ça fonctionne. Tu te dis : « OK… J’en ai bavé, j’ai fait des choses dont je ne pensais pas être capable, mais… bravo gars, tu l’as fait ! »

A côté de ça, dans le futur, je « prie » …[Rires] pour lâcher prise sur ce côté-là qui est assez anxiogène.
Je suis un Artiste et que je veux juste continuer de rêver et de mettre en place mes rêves, quoi ! 

Il y a encore des rêves ?

Comme je viens de te le dire, je « rêve » de lâcher cette partie Production à quelqu’un qui a envie de croire en ce projet et de l’accompagner. Ce serait un « super truc », sachant que les dates sont déjà signées !
Il viendrait vraiment sans avoir grand-chose à faire… [Rires] juste de croire au projet !

Après, grâce à cette exposition, j’ai rencontré énormément de personnes qui ont envie de travailler avec moi. Je continue donc d’avancer là-dedans. Pour le coup, je le garde pour moi parce que je suis superstitieux !

Merci beaucoup Mehdi !

Merci Marc ! Merci à toi !
Qu’est-ce que j’ai parlé !

C’était trop cool !

Vous ne le savez pas mais il y aura un gros montage : il a 14 heures de rush [Rires] !

Merci à toi pour cette invitation, merci beaucoup !

A bientôt ! Ciao ! 

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