Saison 2

S02E16 - Matthieu Drouot, Directeur Général Délégué de GDP

Matthieu DROUOT est l’invité de ce second et dernier épisode consacré à GERARD DROUOT PRODUCTIONS (GDP). Entré dans le monde du spectacle par le terrain, en devenant « roadie », il est ensuite entré dans la production exécutive des concerts dans la société fondée par Gérard DROUOT, puis en est devenu aujourd’hui Directeur Général Délégué. Passionné de basket et de métal, il a fait entrer ces nouvelles esthétiques dans le line up de GDP, tout comme il se montre très sensible au développement de nouveaux artistes français. Dans cet épisode, on parlera aussi du Hellfest dont la marque appartient à GDP, et de cette période si compliquée qu’on vient de vivre, ainsi que d’un futur toujours autant passionné.

Sold Out Matthieu Gérard Drouot Productions

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SOLD OUT - Saison 2, épisode 16 : Matthieu Drouot

avec Matthieu Drouot, Directeur Général Délégué de « Gérard Drouot Productions »

Episode enregistré en 2021, dans son bureau, Rue Vivienne, à Paris.

Bonjour ! Bienvenue dans ce nouvel épisode de « Sold Out », le deuxième épisode consacré à Gérard Drouot Productions. C’est la première fois qu’on fait une « saga » autour de cette « boîte de Prod’ » iconique. Aujourd’hui, on a le bonheur de recevoir un « personnage » important : Matthieu Drouot.

Salut Matthieu !

Salut Marc !

Tu es Directeur Général Délégué de Gérard Drouot Productions, c’est ça ?

Oui. Je suis arrivé dans la « boîte » en 2008 (au Bureau), et j’ai ce mandat de Direction Générale depuis 2012, je crois.

On va parler de ta vision de la « boîte », de ce que tu y as appris et de comment tu as commencé (il y a plein de surprises) …

On va apprendre plein de choses dans cet épisode de « Sold Out », qui commence maintenant.

Matthieu Drouot, premier concert ?

Quand je suis arrivé dans la boîte en 2008, c’était un concert à La Flèche d’Or (à l’époque, beaucoup de concerts se faisaient à La Flèche d’Or, sur la Scène Rock). C’était le Groupe américain The Whigs, que j’aime beaucoup (il est complètement inconnu ici). C’est le premier concert où j’ai vraiment bossé pour G.D.P.

Dernier concert pour G.D.P. ?

C’était au Festival de Jazz de Narbonne, le 27 juillet dernier, avec Kimberose. Le Festival de l’Hospitalet, à Narbonne, est l’un des seuls ayant réussi à se maintenir l’été dernier. Depuis, on n’a pas fait de concert.

Je suis Matthieu Drouot et je suis le Directeur Général Délégué de Gérard Drouot Productions.

Salut Matthieu !

Salut Marc !

Tu es arrivé chez Gérard Drouot Productions en 2008 précisément, c’est ça ?

Quand mon père a fondé la « boîte », j’avais trois ans. C’était en 1986. J’en ai vu des fax imprimés sur les lits et les canapés… jusqu’à des moyens plus modernes.

Je suis au Bureau depuis juin 2008, oui.

Ce que j’ai découvert en préparant cet épisode, c’est qu’avant d’être au Bureau en 2008, tu as été « Roadie » pour cette « boîte ». Pour les gens qui ne connaissent pas, ça veut dire quoi « Roadie » déjà ?

Les « Roadies », comme on dit vulgairement dans les contrats de Technicien-Plateau, sont toutes les équipes qui « montent et démontent les spectacles ». Quand des Artistes se produisent dans des salles que les Producteurs louent, il n’y a pas forcément le matériel pour jouer. Les gens ne le savent pas forcément, mais quand vous allez faire un concert à l’Olympia, on installe tous les soirs et tous les matins un Son différent et des Lumières différentes.

Les Techniciens-Plateau (ou « Roadies ») sont les « mecs » qui déchargent les camions et qui installent le matériel sur scène. Ils sont dirigés par les Ingénieurs du Son et les Ingénieurs-Lumière, en fonction des besoins.

J’ai fait ça pendant trois ans, entre 2005 et 2008.

Je l’ai fait au début, non pas par « motivation familiale », mais parce que je manageais un Groupe de Rock, dont le Guitariste, qui plus tard est devenu mon témoin de mariage, faisait des heures comme « Roadie » pour acheter son matériel et ses guitares. Il m’avait dit : « Tu devrais nous rejoindre ! Tu verras, on apprend beaucoup… ».

Il avait raison ! Il est vrai que la Production de Spectacles est un métier qu’on n’apprend pas à l’école : pour l’apprendre, il faut aller sur le terrain, sinon on peut vous raconter n’importe quoi et vous ne comprenez rien.

J’ai tout appris dans ces camions, sur les plateaux, à monter et démonter ces scènes !

As-tu l’impression que le fait d’avoir été si proche du terrain et de l’avoir expérimenté toi-même te donne aujourd’hui une force dans ton métier pour connaître la « réalité » d’un évènement ?

Il est vrai que dans le Spectacle Vivant, il y a toujours eu une séparation entre le terrain et les bureaux.

C’est un peu dommage. On a voulu « caser » les intermittents dans un coin, en disant : « Vous êtes intermittents, on vous appelle quand on a besoin… », et « le Bureau, c’est autre chose » (il y a un peu plus de snobisme là-dessus).

C’est une « connerie » : on ne peut pas faire un concert sans « Roadies ». Tout ça, c’est une équipe qui « fait un ».

Mon métier consiste à faire un budget pour un concert, estimer les recettes qu’on peut faire, estimer les frais qu’on va avoir à engager pour le faire…

Quand on reçoit des « coups de fil » et qu’on nous dit : « Voilà, je voudrais tel matos, etc… », c’est sûr que quand vous avez fait ça pendant plusieurs années, c’est plus facile de faire un budget que quand vous n’avez jamais touché à une caisse !

Et puis… des fois, vous avez des Managements et des Artistes qui vont vous dire : « On vient avec six semi-remorques, il nous faut 80 Roadies… ».

Non ! On sait de toute façon que quand il y a plusieurs camions qui arrivent, on ne va pas mettre 15 ou 20 personnes dans le même camion pour le décharger : c’est physiquement impossible.

Je sais de quel personnel on a besoin pour entrer et sortir, comment échelonner, et aussi rendre la Production viable.

C’est important pour nous en tant que Producteurs. C’est ce qui nous permet de créer une marge et de ne pas dépenser inutilement. C’est important pour le Public : si dans un concert vous budgétez des besoins qui seront inutiles, ils se retrouvent inutilement dans le prix du billet. C’est important pour l’Artiste aussi…

Il s’agit de pouvoir budgéter correctement un concert, et de le vendre correctement.

Ces « années de terrain » étaient-elles aussi une manière de montrer que ce n’était pas « acquis », pour toi, de travailler chez Gérard Drouot Productions, et quelque part de dire : « Moi, j’en veux ! » ?

Je n’ai jamais cherché à montrer quoi que ce soit. Le parcours était comme ça.

Comme je te disais, c’est mon ami Richard, aujourd’hui Ingénieur du Son chez R.F.I., qui m’a convaincu de faire ça.

Cela n’a pas été très compliqué, mais c’était le parcours. Je ne me suis pas posé plus de questions que ça. Si ça ne m’avait pas plu, je pense que j’aurais arrêté. Ça m’a plu, j’ai continué, j’ai fait ça pendant trois ans. Le fait de le faire m’a aussi donné envie de venir au Bureau…

Bien-sûr…

… ce qui n’était pas forcément évident avant… Donc, non… ce n’était pas réfléchi.

Quand tu arrives dans les Bureaux en 2008, quel est ton « job » ?

J’étais Assistant de Production.

Ça veut dire quoi ?

Tu travailles avec un Directeur de Production, qui est en charge de concerts et de spectacles et qui a déjà fait ses budgets pour la séance concernée. En tant qu’Assistant de Production, tu vas « prendre en main » le budget, trouver les Prestataires, le Personnel Technique ou Artistique dont on a besoin pour faire le spectacle, et ce dans le respect du budget défini à la base. Tu vas être en contact avec des Prestataires de Sons et Lumières, de Catering… avec tous ceux dont on a besoin pour faire un concert.

J’ai commencé comme ça. Quand je suis arrivé dans la « boîte », ce n’est pas parce que j’étais « Matthieu » que je suis arrivé en disant : « Voilà, je sais tout faire ! ». Je venais du terrain, j’y avais énormément appris.

Ça s’est fait très naturellement. C’était à l’époque où G.D.P. était en pleine croissance. Les années 2008 à 2010 étaient de « bonnes années » pour G.D.P. : je voyais Gérard recruter tous les ans, voire même plusieurs fois tous les ans. Puis, un jour, je lui ai dit : « Tu n’as pas besoin d’un coup de main ? », voilà… Ça s’est fait comme ça.

En plus, j’étais un peu en « crise post-études ». J’avais fait des études dans une Ecole de Commerce qui ne m’avait pas forcément convenu. Je me suis dit : « On va essayer ! ».

Quand on est fils de Producteur de Spectacles, pendant toute votre scolarité et toute votre vie, on vous parle de ce que fait votre père ! Quand vous racontez à des profs : « Profession du père : Producteur de Spectacles », ils vous « regardent encore », quand vous avez des « potes » et qu’il y a votre nom sur les affiches dans le métro, etc… : « Ah ouais, c’est toi ! Tu n’aurais pas des places ? » …

Je me souviens du jour où mon père a annoncé à ses parents qu’il « montait sa  boîte » !

Oui, j’étais dans la pièce, dans la maison de mes grands-parents à Romeny-sur-Marne… J’ai vu tout ça !

Evidemment, quand on est tout petit, on ne comprend rien de ce qui se passe. On le comprend de plus en plus en grandissant…

Après le « Roadie », je ne savais pas forcément ce que je voulais faire de ma vie. J’étais peut-être arrivé à un point où je m’étais dit : « Si je ne le fais jamais, je le regretterai peut-être toute ma vie ! ». J’avais peut-être envie de « tenter le coup », et puis… ça va faire 13 ans maintenant !

J’ai l’impression, avec mon regard « extérieur », que tu as eu le souhait de développer de nouvelles « verticales », si j’ose dire, de nouveaux types « d’esthétiques » dans cette « boîte » déjà très attachée à l’éclectisme…

Le Sport, de nouveaux Artistes (on parlait notamment de Kimberose tout à l’heure), peut-être aussi tout ce qui se passe autour du Hellfest…

Tu veux bien qu’on parle un peu de tout ça dans cet épisode ?

Oui !

Le Sport, pour commencer… Je vois un maillot des Harlem Globetrotters, c’est ça ?

Les Harlem Globetrotters, c’est une histoire marrante. C’est la troupe de Basketteurs que tout le monde connaît.

Au sens du métier, je dirais que c’est « une troupe qui fait un show ».

Les « mecs » étaient représentés par un Agent qui était aussi l’Agent de Bryan Adams, de Michael Bublé, de gens de la Variété, du Rock ou du Jazz… Un jour, ce mec-là propose à Gérard de « faire » les Harlem Globetrotters, bon…

Moi qui suis « très Basket », je savais de quoi on parlait…

C’est ta passion, le Basket ?

Oui ! Très franchement, si je n’avais pas fait du Spectacle Vivant, j’aurais peut-être fait du Basket ! C’est vraiment quelque chose que je suis depuis très longtemps et que j’aime aussi pratiquer.

Je me souviens qu’en 2008, Gérard m’a dit : « Tu ne veux pas gérer les Harlem Globetrotters ? ».

J’ai senti qu’il n’était pas très à l’aise sur le dossier : le Basket n’est pas trop son « truc ». Pour moi, ça l’est un peu plus. On a fait ça en équipe. De toute façon, G.D.P. est un « boulot d’équipe », à contrario d’autres « boîtes » de Production où les « mecs » sont parfois très solitaires. Nous, on a vraiment une équipe. On a des Bookers, des Chargés de Marketing, des Chargés de Billetterie… Chacun son « taf » !

A l’époque, quand j’ai « attaqué les Harlem Globetrotters », j’en ai fait la Prod’.

On avait quelqu’un pour le Booking, quelqu’un pour le Marketing etc… dont certains sont toujours là. C’était un produit qui me plaisait, que je comprenais bien, et on a fait du bon « taf ». Quand on a fait les premières tournées, la troupe venait de la Halle Carpentier dans le 13ème arrondissement, sans vraiment avoir un profil de vente de billets etc… Cela fait maintenant quelques années que, tous les deux ans, on les fait passer à Bercy.

La première fois que j’ai fait une date des Harlem Globetrotters, c’était au Palais des Sports Gerland, à Lyon.

A l’époque, on avait fait un peu moins de 2 000 payants, ce qui était, je crois, dans les standards de ce que faisaient les Harlem Globetrotters à l’époque.

Maintenant, quand je vais à Gerland, je remplis entre 5 000 et 6 000 places.

On n’a jamais réussi à remplir les 8 000 places (c’est une très grande salle), mais on fait de beaux scores.

C’est un show qui est devenu un plaisir à travailler, qui est devenu rentable et drôle, qui est aussi devenu une marque, qu’on a réinstallé en France et qu’on arrive à installer partout, dans des lieux complètement différents. C’est une belle fierté, qui va dans le sens de la diversification que Gérard imaginait il y a très longtemps.

Il ne s’est jamais cantonné à un seul style de spectacles : « Si tu es Producteur de Rock, que t’arrive-t-il si le Rock ne marche plus ? » … Il a toujours fait un peu de tout. Il a même fait du Classique à une époque (il a dû t’en parler…).

Les Harlem Globetrotters, c’était du « sport-spectacle ». C’était ma « petite pierre à l’édifice ».

Il n’y a pas vraiment d’autres troupes sportives dans le Monde du Spectacle et dans l’Entertainment, mais il y en aura peut-être. Avant la pandémie, je parlais d’un projet de jouer, dans des salles, les hymnes de la F.I.F.A., de l’U.E.F.A., des équipes nationales ou des clubs de foot, avec des Clubs de Supporters et des joueurs qui viendraient en « guests ». ll y a tout un tas de contenus que l’on pourrait imaginer.

Je pense que le Sport est, évidemment, extrêmement puissant ! On joue souvent les concerts et les matches dans les mêmes établissements : ce sont deux mondes qui sont voués à se rapprocher.

Avant ce succès avec les Harlem Globetrotters, y a-t-il eu des échecs qui t’ont appris des « trucs » sur cette nouvelle verticale Sport, ou est-ce que ça a été directement un « plaisir » à bosser ?

Il y a eu un échec, c’est la N.B.A. (j’ai « fait » un match de Présaison N.B.A. en 2010).

Je pense avoir eu l’affaire pour deux raisons.

A l’époque, le Directeur de Bercy, feu Philippe Ventadour, avait eu la gentillesse de nous recommander. La N.B.A. avait « pris les dates » et cherchait un Promoteur. Quand j’ai rencontré les gens de la N.B.A., ils ont compris que « je savais ce que c’était ». Ça a bien « matché », mais malheureusement on n’a pas « rempli » et on a perdu beaucoup d’argent. Ça a été un échec financier assez lourd pour une « boîte » comme la nôtre. Ce sont de telles « machines » …

Pourquoi ? Ça coûtait trop cher ou c’était un « one shot » ? Qu’en as-tu retenu ?

Non, on n’a pas « rempli », c’est tout ! On avait 15 000 places à vendre et on en a vendu 10 000 ou 11 000…

Comme c’était un prix moyen assez cher, c’était de grosses pertes.

Ce qui est dommage, c’est que la N.B.A. est une telle marque, une telle « machine », que vous ne pouvez pas juste les appeler et leur dire : « Bon… sur ce match-là, on s’est plantés. Revenez l’an prochain, on va essayer de se refaire ! ». Je crois que des années ont passé avant que la Présaison ne revienne à Bercy (en tout cas, à Paris).

Ils ont fait un match de saison régulière en janvier, juste avant la pandémie. De ce que je sais, ils l’ont fait directement avec la Salle, sans Promoteur.

De toute façon, ce métier est ponctué de succès mais aussi d’échecs. Aucun Producteur ne peut se gausser d’avoir tout réussi. Je suis très content de ce qu’on arrive à faire avec Kimberose en ce moment. Elle n’est pas la seule : en ce moment, je m’occupe d’une fille qui s’appelle Camille Esteban, en qui je crois beaucoup.

Vu de l’extérieur, le fait que je m’occupe de projets en développement peut paraître bizarre quand on fait des stades, des Zénith, etc… Pour moi, ce n’est pas du tout incompatible ! Il y a des Productions qui ont fait le choix de ne s’occuper que des Stades, des Festivals ou des Zénith, nous on fait « du Club au Stade ». Je prends autant de plaisir et d’intérêt à m’occuper d’un concert au Pop-up du Label, devant 50 personnes, que de faire un Stade de France. Le Stade de France, c’est génial, mais vous savez que vous allez le remplir… Ce n’est quand même pas le même travail que d’arriver à découvrir un Artiste, puis l’accompagner, le produire, et lui permettre de rencontrer un Public.

Ici, on a vu arriver des gens qui n’avaient pas de Public !

Question un peu naïve sur Camille Esteban… Vu de l’extérieur, j’avais l’impression que c’était son label ou son Manager qui devait l’aider à grandir et à développer sa carrière… Son Producteur de Spectacles a-t-il aussi un rôle déterminant pour cela ?

Oui ! J’ai fait ses premiers concerts alors qu’elle n’avait pas encore signé avec sa Maison de Disques.

Ah oui ! Tu es vraiment « en amont », là…

C’était des « discussions » avec elle. C’est vrai que quand tu pars sur la route, que tu fais tes premiers concerts et que tu n’as pas de Maisons de Disques, tu ne remplis pas les salles. Il est très rare d’arriver à « faire un business » sans avoir travaillé le côté phonographique.

J’ai « fait » les premiers concerts avec elle : elle n’avait pas de Maison de Disques. Elle en cherchait une, vraiment.

Ça a pris du temps de rencontrer les gens, etc… C’était comme avec Kimberose quand on l’a rencontrée !

Son Producteur, Fabrice Nataf, l’avait découverte. Elle travaille maintenant avec Pascal Nègre et le label 6 et 7.

Le Producteur de Spectacles est vraiment aussi important que le Producteur phonographique ou la Maison de Disques, etc… C’est un « pilier » du développement d’Artistes, surtout aujourd’hui. C’était moins le cas dans les années 1980 – 1990, où vous pouviez faire carrière sans jamais aller sur la route. Aujourd’hui, si vous êtes un(e) jeune Artiste, vous ne pouvez pas ne pas avoir de Producteur de Spectacles, ou alors vous vous auto-produisez et vous lancez vous-même dans des Productions de concerts ! Vous ne pouvez pas ignorer ça.

Aujourd’hui, votre carrière est définie par votre profil sur scène, par ce que vous arrivez à faire, par les festivals que vous arrivez à avoir et par les salles que vous arrivez à remplir. Il est très important d’y penser en amont.

Tu viens de citer le mot « festival » … Je suis obligé de rebondir dessus et de parler d’un festival qui t’est très cher : le Hellfest. Les gens ne le savent peut-être pas, mais la marque « Hellfest » appartient ou co-appartient à Gérard Drouot Productions. C’est ça ?

Oui. Par la suite on a fait une Société de Marques pour différencier les activités, mais oui, cette marque nous appartient. C’est une grande fierté parce que c’est « le plus beau festival d’Europe ».

Tu en parles avec passion… On a l’impression que tu as des souvenirs incroyables au Hellfest

Oui… Tout ce qui se passe au Hellfest reste au Hellfest !

Bizarrement, Hellfest est à la fois le plus grand festival d’Europe, le plus beau, etc… et en même temps, ce n’est que « 60 000 personnes par jour, trois jours par an ». Il y a donc énormément de monde qui n’y est jamais allé.

Il m’arrive encore de parler du Hellfest à des gens qui me disent : « Il faudrait que j’y aille un jour ! ».

Finalement, c’est assez peu connu, mais il faut le voir pour le croire ! Il faut aller à Clisson !

Le site est ouvert : vous pouvez aller pique-niquer sur le Site de Clisson et voir le site de ce festival qui est le plus beau qu’on a en France et qui, pour moi, est le plus beau qu’on a en Europe. C’est le festival qui a le plus investit pour ses festivaliers ; c’est le festival où le festivalier sera le mieux accueilli ; c’est là où il va le mieux manger, c’est là où il va le mieux boire aussi… et c’est là où il va voir les meilleurs concerts !

C’est sûr que si vous êtes fan de Rap ou de Musique Classique ce n’est pas pour vous, encore que…

Je connais des gens qui sont allés au Hellfest et m’ont dit qu’ils avaient découvert le Hard Rock et les Musiques Extrêmes grâce au Hellfest !

Vous avez 150 Groupes qui jouent pendant le week-end. Vous n’allez pas tous les voir car il y en a qui se jouent en même temps, mais vous allez peut-être en voir 40 ou 50 ! Vous découvrez des Groupes, puis vous vous mettez à acheter leur album, à aller les voir au Bataclan quand ils passent à Paris, etc…

Le Hellfest est souvent un « point de départ » pour beaucoup d’Artistes et pour beaucoup de membres du Public qui y découvrent des Groupes.

C’est vraiment un « festival comme on n’en fait jamais » ! J’ai pourtant « fait » tous les festivals de France. Franchement, je n’ai retrouvé nulle part l’âme et la bienveillance que vous pouvez retrouver au Hellfest.

Je me souviens des dires d’un Manager Américain quand il était venu à Clisson : « C’est génial qu’à Hellfest vous proposiez aux fans de Rock ce que les non-fans de Rock ont à Coachella aux Etats-Unis ! ».

J’ai trouvé que c’était le meilleur compliment ! J’étais déjà allé à Coachella et c’est « le plus beau festival du monde » ! Avoir ce compliment sur le Hellfest, sur la thématique des Musiques Extrêmes, c’était aussi la reconnaissance et la preuve que le festival met tout le monde d’accord ! C’est une grande fierté.

Ce sont aussi de très belles rencontres : l’Association fait un boulot extraordinaire, des « mecs » comme Ben Barbaud, il y en a peut-être un par décennie en France (et encore, je suis gentil !).

Ce que ce « mec » a fait avec Yoann Le Nevé (l’autre Fondateur du Festival) est unique dans le pays, unique en Europe !

Maintenant, il faut que ça rouvre… [Rires] On est encore fermés, il faut que ça rouvre !

Justement, Matthieu : depuis le début de cette pandémie, tu as pas mal pris la parole alors que tu étais auparavant assez discret médiatiquement. Tu as beaucoup pris la parole, parfois avec des opinions très tranchées…

[Rires] Ah bon ?

… en mode : « Pourquoi on n’est pas essentiels ? Il faut absolument qu’on rouvre ! Que fait le Gouvernement ? »

Est-ce ta manière d’être ? Est-ce une « signature » de Matthieu Drout de « ne pas prendre de pincettes pour dire les choses » ?

J’en reviens à ce que je disais tout à l’heure : depuis que je suis gamin, j’ai vu cette « boîte » et ce métier grandir.

Je me souviens que quand mon père a dit à ses parents : « Je vais faire du Spectacle Vivant », ils ne sont pas « tombés par terre », mais ce n’était pas loin ! C’était : « Comment ça ? », alors qu’il avait fait X années de Médecine. Ce n’était pas du tout un métier établi !

Je me souviens de mes professeurs d’Espagnol, d’Anglais, de Maths ou de mes Maîtresses d’école primaire.

Quand tu n’as qu’un seul professeur à l’école primaire, au début de l’année, c’est : « Alors, profession des parents ? » (il veut la « fiche-contact » pour savoir quel est l’élève, etc…). Là, tu mets : « Producteur de Spectacles », et l’Instit te regarde en disant : « C’est un vrai métier, ça ? »

On sait que les métiers comme Producteur de Spectacles (on peut même élargir ça au monde de la Culture), sont des métiers pour lesquels beaucoup trop de gens aujourd’hui, en France, se posent la question : « Est-ce un vrai métier ? ». En 2020, je pensais qu’on avait dépassé ça. Je pensais qu’on avait réussi à « installer » le métier et l’Economie de la Culture dans le pays. Je pensais qu’on ne se poserait plus ces questions, que c’était fini…

On le voit encore en 2021 ! Je suis un peu les actualités, etc…

En plus, avec Internet, les gens commentent les articles de presse, etc… et on se fait insulter : « Allez prendre un « vrai métier », et après vous aurez le droit de reparler ! ».

Ce qu’on entend sur la Culture est extrêmement dur ! Ceux qui « s’en prennent le plus dans la gueule » sont les Artistes : ce sont des « têtes connues », ceux à qui on va tendre le micro plus facilement.

J’ai pour le coup été très choqué de la manière dont on a récemment parlé des Césars !

Les « mecs » ont une soirée dans l’année, ils ont peut-être le droit de dire ce qu’ils ont à dire ! Sur une soirée, ce n’est pas « énorme » : on n’impose pas ça aux gens tous les soirs ! Une soirée dans l’année ! Ce n’est même pas une par mois ou par semaine ! Même pour ça, on les « défonce », on les « détruit ».

Dans cette pandémie, j’ai très vite compris et constaté qu’on allait « mettre de côté » le Spectacle Vivant et tout un tas de choses, et que ce serait normal ! Forcément, ma réaction n’a pas été : « Oui, bien-sûr ! Pas de problème ! ».  Ça m’a évidemment touché, et ça me touche encore !

Je pensais peut-être naïvement qu’on allait réussir à résoudre le problème avec le temps, dans l’année et les mois qui se sont passés… Un an plus tard, on en est au même problème !

On crée des richesses pour nous, mais aussi « pour les autres » ! Je rappelle à ceux qui ne le savent pas que quand vous produisez un concert dans une salle, vous ne touchez rien sur ce que le bar génère, sur ce que le restaurant d’à côté génère, sur ce que la S.N.C.F. gagne en billets de train, etc… On n’a pas d’accords comme ça ! Il faudrait peut-être y penser un jour…

Avec nos évènements, on fait vivre tout un tas d’activités, et tant mieux ! C’est logique !

Demandez aux habitants de Clisson ce que représente le Hellfest pendant une semaine ! Il n’y a pas qu’eux : tous les Hôteliers et les Restaurateurs attendent le festival « à bras ouverts » !

On a un métier qui s’est vraiment « industrialisé » (je n’aime vraiment pas ce mot mais je n’en ai pas d’autre à employer). Peut-être que dans les années 1960, c’était un « métier de liquide » : les gens payaient leur place en cash à l’entrée, et… que faisaient les Producteurs de ce « cash » ?

Aujourd’hui, on a parfois des contrôles du Fisc et ils viennent encore chercher du cash… Non, quoi ! Les gens paient par carte bancaire, sur Internet, les échanges de trésorerie sont des virements, tout est répertorié… c’est un « vrai métier », quoi !

Effectivement, peut-être y a-t-il des gens dans la filière qui sont déjà en train de se dire : « Qu’est-ce que je vais faire après la pandémie ? La Musique Live, ça va être compliqué ! ». Moi, il est hors de question que je fasse autre chose : ça fait maintenant quinze ans que je le fais… Là où j’ai vraiment des regrets, c’est que je suis certain qu’on aurait pu trouver des protocoles pour faire des concerts en sécurité, pour les Artistes, pour le Public… et on ne l’a pas fait !

Forcément, ça m’énerve !

Matthieu, on arrive au terme de cet épisode et j’ai envie de te poser quelques toutes dernières questions pour clore cette série sur Gérard Drouot Productions. La première est la plus évidente… Depuis que tu es « tout petit », qu’as-tu appris de ton papa sur la Production de Spectacles ? Qu’as-tu appris de Gérard, qui pourrait définir ce qu’on fait dans cette Maison ? A ton avis, pourquoi un Artiste « signe » chez Gérard Drouot Productions plutôt qu’ailleurs ?

Déjà, il « signe » chez Gérard Drouot Productions parce qu’il sait qu’il sera payé.

[Rires] C’est intéressant parce que ton papa nous disait la même chose !

Ah ! On ne s’est pas parlés avant…

La crédibilité d’un Producteur, c’est « ne jamais planter quiconque ». C’est le B-A BA. Ça ne s’apprend peut-être pas assez dans les écoles (quand j’ai fait l’école, on ne m’a pas appris ça), mais quand je suis venu ici, mon père m’a appris ça.

C’est aussi un savoir-faire, une expertise, savoir « sentir le Marché » … Une tournée ne vendra jamais la même chose que la précédente dans le développement d’un Artiste. Il faut savoir anticiper cela et s’en protéger pour ne pas s’exposer à des « plantades ». Je pense qu’aucun Artiste n’a envie de jouer dans des salles trop grandes qui ne soient pas pleines. C’est important de gérer ça. Le Public est très « volatile ». Il l’est peut-être encore plus aujourd’hui qu’il y a quinze ans, quand j’ai commencé. Il faut arriver à apporter de la stabilité là-dessus et à trouver sur chaque spectacle, sur chaque concert, sur chaque création, sur chaque album (si les musiques ont d’abord été enregistrées avant de sortir sur scène) le lieu et le format adéquats pour jouer ainsi que le festival adéquat (si c’est l’été).

C’est du « pif », beaucoup. C’est du « cerveau », c’est « se creuser les méninges ».

Ce qu’on aime beaucoup ici, c’est que comme on ne s’est jamais cantonné à un seul style de Musique ou de show, on « s’éclate » parce qu’on passe toujours un peu « du coq à l’âne ». Ce n’est pas pareil que de faire une tournée de Rap, de Classique ou de Métal.

Ce n’est d’ailleurs pas toujours les mêmes personnes, même si c’est vrai qu’on travaille des fois avec des Managers, des Agents voire des Artistes qui « font » plusieurs styles. Cela peut arriver qu’un « mec » fasse un album Folk un jour, et le lendemain un autre album avec un Groupe de Métal.

C’est cette diversité qu’on a cherchée. Un Artiste qui vient chez nous sait que peu importe le style musical qu’il va proposer, on va lui proposer un plan pour le travailler.

Ici, on a travaillé avec des Artistes qui, souvent, se sont cassé les dents face au « mur des radios ».

On leur disait : « Vous n’êtes pas dans le format… Le refrain est trop loin… Là il y a trop de guitare… ». Ce ne sont pas des débats qu’on a ici. On n’en a jamais eu là-dessus. C’est peut-être pour cela qu’on a des relations qui durent dans le temps, avec des « mecs » comme Kravitz… J’espère que ça va durer avec d’autres.

On « fait » aussi un Artiste magnifique qui s’appelle Asaf Avidan, qui vient d’Israël, et qui nous a déjà proposé des concerts en solo, avec un Groupe, en solo juste à la guitare, en solo avec tout un pédalier pour faire des loops et pour faire un concert plus complet, avec un Groupe de Rock, avec un Groupe de Variétés…

On a fait des « trucs » vachement différents. C’est aussi vachement gratifiant et « fun » de proposer des projets différents ! C’est à chaque fois un nouveau Marketing, de nouveaux visuels, « Qu’est-ce qu’on va proposer ? », « Si on propose ça, comment les gens vont-ils le ressentir ? »

C’est beaucoup de « pif » parce qu’on est un « métier d’artisan ». On ne fait pas d’étude de marché.

L’an prochain, Zucchero revient, je n’ai pas fait d’étude de marché pour savoir dans quelle salle ça marcherait le mieux et pour quel public… non ! C’est du ressenti, c’est très humain. Des fois, ça ne marche pas. Des fois on va faire des demi-salles ou annuler des tournées (c’est franchement très rare qu’on annule des tournées).

La plupart du temps (le parcours de la « boîte » le prouve), ça fonctionne : on fait de belles salles, l’Artiste est payé en temps et en heure, la salle est payée, le Public en a eu pour son argent, si le show est annulé, il est remboursé…

Ce sont les bases d’une bonne relation entre tout le monde !

Dernière question « rituelle » dans « Sold Out » : si on pense à des jeunes gens qui ont envie de travailler dans le Milieu du Spectacle, que ce soit en tant que « Rodie », dans le Marketing, en tant qu’Assistant de billetterie ou Assistant de Production… On leur donnerait quoi comme conseil, en 2021 ? Est-ce qu’on leur conseillerait de s’accrocher ? Comment s’adresse-t-on à une jeune personne qui a envie de travailler dans le Spectacle aujourd’hui ?

Déjà : « Finis tes études ! » [Rires] Ce que je n’ai pas fait… Peut-être « bêtement ».

C’est sûr que si demain on ne fait plus de concert, je pourrais me dire : « J’aurais mieux fait de finir mon cursus ! ».

Pour le coup, on est en pleine pandémie. Il faut de la patience. Ici, on est 35 salariés, on a les trois quarts de l’effectif au chômage partiel depuis le mois de juin. Ça ne sert à rien de dire « qu’il y aura des choses à faire » …

Non, être patient… Si la passion est là, s’il y a le « kiff » de voir un bon concert et le sourire des gens à la fin du concert, ou à l’inverse la déception du Producteur quand il voit que les gens repartent un peu en faisant « la soupe à la grimace » parce que ce soir-là ça ne leur a pas plu ou que l’Artiste n’était pas « en forme » …

Il a pu m’arriver de mettre des Groupes dans des salles qui n’était pas les « bonnes » et que ce soit moins sympa…

Si on a cette passion-là et qu’on ressent tout ça, on peut faire ce métier.

C’est un « métier de feeling », c’est un métier de ressenti, c’est un métier très humain.

J’avais des confrères « corporate » (on en a parlé brièvement tout à l’heure) qui, pendant la pandémie, voulaient dire aux Agents et aux Artistes : « Voilà, maintenant le business, c’est comme ça ! ». Les mecs me disaient : « C’est très bête parce qu’on n’est pas un métier de « take it or leave it », on n’est pas un métier « d’à prendre ou à laisser ». On est un métier de relations avec les Artistes et avec leurs équipes ».

On est un métier de relations humaines. Si on a envie de ça, on va s’éclater dans le Spectacle Vivant.

Si on a envie de travailler derrière un écran et de ne pas sortir de chez soi, il ne faut pas faire ce métier !

[Rires] Merci beaucoup Matthieu ! Merci de nous avoir accueillis !

Salut, à bientôt !


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