Saison 2

S02E13 - Bénédicte Froidure, Directrice de File7 (SMAC, 77)

Formée à la légendaire école NOVA, comme certains autres invités de cette saison 2 de SOLD OUT, Bénédicte Froidure s’est assez rapidement orientée vers la Direction de lieux inspirants, d’abord à Paris, puis à Roubaix et enfin en Seine et Marne (77), à Magny-Le-Hongre.

Direction d’une SMAC et militantisme passionné, voilà les deux sujets très largement abordés dans cet épisode qui parle aussi de soirées parisiennes au nom déjantées, et des conséquences moins visibles de la crise sanitaire.

Sold Out Bénédicte Froidure File 7

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SOLD OUT - Saison 2, épisode 13 : Bénédicte Froidure

Bonjour ! Bienvenue dans ce treizième épisode (déjà !) de « Sold Out » ! Aujourd’hui, on reçoit Bénédicte Froidure.

Bonjour Bénédicte !

Bonjour !

Bienvenue dans « Sold Out » !

Merci de me recevoir, je suis ravie d’être là !

Aujourd’hui tu es avec nous parce que pour « Sold Out » c’est une « double première » : on va recevoir une personnalité qui est Directrice d’une « S.M.AC. »
C’est quoi une « S.M.AC. » ?

C’est un label d’Etat qui signifie Scène de musiques actuelles, avec un cahier des charges assez large. On pourra en parler si tu veux.

On n’a pas encore reçu de Directrice de Structure publique et encore moins d’une S.M.AC. dans « Sold Out », donc ça va être très intéressant de discuter de tout ça et aussi de tout ton parcours.
Tu as aussi une empreinte militante : tu te bats pour certaines causes…

Oui, je suis très mobilisée depuis de nombreuses années sur la place des femmes dans ce milieu que sont les Musiques Actuelles. C’est vrai que c’est un sujet important dont on parle beaucoup depuis quelques années, mais qui me tient à cœur depuis peut-être une quinzaine d’années…

Peux-tu juste nous rappeler le titre de ton Mémoire de fin d’études ?

Oui, c’est « Musiques Actuelles : les femmes sont-elles des hommes comme les autres ? »

On va « creuser » tout ça dans cet épisode de « Sold Out », qui commence maintenant.

Bénédicte Froidure, premier billet vendu ?

Le premier billet vendu (je vais tricher un peu mais on a le droit, j’imagine), c’est « Ray Charles ».
J’étais bénévole sur le Festival de la Cité de Carcassonne, j’avais 15 ans.
Puisqu’on a dit qu’on allait parler de militantisme, c’est important de rappeler que souvent la passion démarre tôt et elle a démarré extrêmement tôt chez moi. Je pense que l’un des premiers concerts que j’ai vu sur le festival c’était cet artiste emblématique.

Dernier billet vendu ?

Je crois que c’est un « signe du destin » ou de ce qui nous arrive en ce moment : c’est Catastrophe, que j’ai découvert au Printemps de Bourges en 2019. C’est un groupe Pop-Rock à « géométrie variable », qui fait un Live à tendance Comédie Musicale, et qui a sorti un projet qui s’appelle « Gong ».

Je suis Bénédicte Froidure. Je suis Directrice et Programmatrice de la Scène de musiques actuelles labellisée (S.M.AC.) qui s’appelle File7, située à Magny-le-Hongre.

Salut Bénédicte !

Salut !

Bienvenue ici !
Tu es habituée des micros parce que le début de ta carrière était dans des radios…

C’est vrai. Je crois que j’ai commencé à « traîner » sur des radios-campus universitaires très tôt, dès 1997.
J’étais à l’époque en Angleterre, sur le campus de l’Université de Leicester, où j’ai commencé à animer un projet de radio en milieu universitaire. La musique électronique française était très à la mode.

Très vite, Le Mouv’ et Nova

Je suis passée du Service Public de Radio France, au Mouv’ où j’étais Attachée de Presse à Toulouse, puis à Nova en tant que Chargée de Communication sur l’ensemble du Groupe Nova Presse : je bossais à la fois pour la radio, mais aussi pour le « mag’ » et le site internet. 

Ça devait être une époque fascinante, non ?

Ce qui était surtout fascinant c’était l’effervescence intellectuelle des journalistes de Nova.
C’est Jean-François Bizot qui m’a recrutée, mes voisins de bureau étaient Bintou Simporé et Rémy Kolpa Kopoul, donc il y avait quand même des « grandes figures » du magazine Actuel et du Journalisme Musical.
C’était hyper palpitant pour une jeune femme arrivée de sa province et du Groupe Radio France (qui était aussi excellent).
C’était surtout ce « bouillon de culture » de Nova et cette recherche artistique perpétuelle parmi les gens de Nova.

Tu étais à la Communication et aux Relations-Presse du Groupe Nova et, assez rapidement, tu as bougé : tu as bifurqué pour aller diriger un « lieu », c’est ça ?

J’ai eu beaucoup de chance, je crois, parce que j’étais « multi-casquettes ».
Ce qui était génial à Nova, c’est qu’on est assigné à un rôle mais c’est une entreprise dans laquelle on avait une liberté de faire énormément de choses. Il y a eu un moment où il manquait une Coordinatrice d’Antenne (il y a eu une carence de poste pendant quelques mois), et je me suis donc retrouvée, en plus de mes fonctions dans la Communication, à la Direction d’Antenne.

L’équipe rédactionnelle permanente était finalement assez « légère ». On m’a donc proposé d’aller visiter un « lieu » qui était en train de se monter dans les rues de Paris : il fallait aller « repérer » et voir ce qu’il s’y passait.
Effectivement, je suis arrivée dans ce « lieu » situé Rue Montmartre, qui s’appelait Le Triptyque et qui est ensuite devenu Le Social Club. En y arrivant, je me suis dit : « Il y a vraiment un truc à faire ! Il faut monter des soirées… ».

J’ai très vite proposé à l’équipe du Triptyque d’organiser des soirées là-bas. J’étais encore salariée du Groupe Nova

Es-tu en train de me dire que le « switch » de la Communication à la Programmation (la conception de soirées ou d’évènements) s’est presque fait en un instant, en une visite ? Etait-ce un « mouvement dans ta tête », déjà ?

Je pense que c’était un « mouvement dans ma tête » parce qu’à partir du moment où j’avais touché à la Coordination d’Antenne, je commençais à avoir une certaine liberté à Nova pour « booker » des Nova Mix (à l’époque il y en avait quasiment tous les soirs) : inviter des DJ’s et des Musiciens à venir proposer des Lives ou des DJ-sets. Je commençais à avoir un rapport au rédactionnel et à la Programmation.

A l’époque, le Directeur de la Musique à Nova était Laurent Garnier. Je me souviens que Laurent me demandait régulièrement : « Tu écoutes quoi ? Amène-moi tes disques ! »
Il y avait un échange, la possibilité de parler musique de manière hyper simple, et une curiosité mutuelle :
à la fois moi qui « prenait dans la figure » toute la Culture de Nova et d’Actuel et qui me sentais « toute petite » (ne serait-ce que d’entrer dans la discothèque de Nova était un « truc énorme » (la somme de disques qu’il pouvait y avoir quand on se baladait dans le Bureau de la Programmation ou dans les Archives !), et en même temps la curiosité « nourrie des plus jeunes » : Laurent était quelqu’un qui s’intéressait à ce qu’écoutais les plus jeunes générations en permanence. C’était génial de se dire qu’on pouvait aussi amener au Programmateur des projets qu’on avait découverts.

Je commençais à avoir une certaine liberté en termes de Programmation, et quand Jean-François m’a proposé de relancer le magazine Nova Mag’

Jean-François Bizot, le Patron et Fondateur de Nova…

Oui, de Nova et d’Actuel.
Quand il m’a dit : « Il faut que tu retournes bosser à la rédac’ parce qu’on veut relancer le mag’ », je n’avais plus du tout envie de ne faire que de la Com’ !
Le « switch » s’est fait parce que pendant quelques mois j’ai occupé ce poste de Coordination d’Antenne et que j’ai eu accès à une liberté artistique pour amener des projets. Je n’ai pas eu envie de la perdre.
Cela a été concomitant de la découverte du Triptyque et je me suis dit : « Là, j’ai le moyen d’avoir un accès direct et de mettre en relations les Musiciens et les projets que j’ai dénichés, face à un public et, en plus, en live ! »
C’était une nouvelle expérience !

Et donc, dès 2003, Le Triptyque... Que se passe-t-il au Triptyque ?

C’est un sacré bordel ! Je pense que ça vaut quand même le coup de le raconter…
Avant d’être Le Social Club, Le Triptyque était vraiment un « coup de bluff » total : une équipe de personnes pas du tout aguerries au milieu du Spectacle qui fait un « coup immobilier ». 

Ça ressemble à quoi déjà ?

Ça ressemble à une immense cave d’une capacité de 500 personnes, un peu « classe » mais un peu underground aussi. En fait, l’histoire du Triptyque est vraiment celle de quelqu’un qui bossait dans l’immobilier et qui, un jour, a visité ce lieu et s’est dit : « Là, il faut faire un lieu de spectacle ! ».

On était sur les Grands Boulevards, entre le Pulp et le Grand Rex, sur un endroit qui était déjà pas mal « identifié » pour les soirées au début des années 2000 : il y avait quand même un Public qui « traînait » beaucoup dans ce quartier.
Très vite, quand j’ai vu ce lieu, je me suis dit : « Je vais leur proposer des soirées ». Je leur ai très vite proposé des soirées dédiées à la scène des musiques électroniques féminines (en tout cas à des Artistes féminines).

Je pense que le « combat » commençait à grandir un peu en moi parce que je voyais ce qui se passait en termes de Programmation à l’échelon de Nova. Je voyais déjà que parmi les grands pontes ou la Direction de ce grand média, c’était beaucoup d’hommes, que parmi les Artistes et les gens qui étaient reçus il y avait beaucoup d’hommes, que la femme que j’étais était assignée à un rôle qui était celui de la Com’ tel qu’on l’a très bien décrit dix ans plus tard dans les Maisons de Disques, les médias, etc…

Je me disais : « Là, il y a un truc qui se joue ! Il faut absolument qu’il y ait des scènes qui soient dédiées aux Artistes féminines exclusivement ».

En plus, ces soirées étaient un peu marketées : elles avaient des noms délirants…

C’est vrai que le côté marketé était toujours un peu « provoc’ », en fait. On était à Nova et on s’autorisait tout ! Le premier nom un peu marketé qui est sorti de toute cette histoire c’était les « Putafranges ».

Tu étais dans ce collectif ?

Oui, j’étais dans ce collectif qu’on a monté avec Tania (Journaliste à Nova). Au début on était que toutes les deux puis on a été rejointes par deux autres copines. C’était un collectif de « DJettes féminines » qui proposait des sélections musicales hyper éclectiques et parfois très mal mixées : on mixait un peu « avec nos mains (il faut assumer qu’au début on n’était pas des grandes techniciennes du mix).
On ne s’est jamais revendiquées « DJs » ; notre envie était surtout de faire partager nos goûts musicaux et d’être de bons « sélectors ». Je pense que c’est ce qu’on a fait pendant un certain nombre d’années.

Le collectif est né sur les toits de Nova où, un jour, Jean-François Bizot nous a dit : « Il y a une soirée Nova… » (comme il y en avait à peu près tous les mois à l’époque), « … est-ce que vous ne voudriez pas passer des disques ? ».
Ensuite, j’ai monté la soirée « Chiennes Hi-Fi » (c’était son nom…) au Triptyque, dédiée uniquement aux Artistes féminines plutôt issues des musiques électroniques (même si on a pu faire du Pop-Rock), et les « Putafranges » étaient résidentes de ces soirées-là.

Après ces soirées, après Le Triptyque, il y a eu un moment important pour toi, fondamental même, dans le Nord, à Roubaix : La Cave aux Poètes. Nous, on va passer directement à File7, cette S.M.AC. que tu diriges aujourd’hui. Tu y arrives en 2012, mais déjà… c’est quoi ce nom ?

Ce bâtiment a été construit quasiment à l’identique d’une ferme qui s’appelait la Ferme Sainte-Geneviève, située à Magny-le-Hongre.

Magny-le-Hongre était un petit village de 500 âmes il y a plus d’une vingtaine d’années, sur lequel est venu s’installer Disney, et qui a donc énormément grossi. Ce projet est vraiment à l’initiative des élus locaux qui ont eu pas mal d’argent issu de l’arrivée de Disney sur leur territoire et qui se sont dit : « Cet argent, il faut s’en servir pour créer un projet qui peut être complémentaire à Disney. C’est bien, on a une grosse Industrie Culturelle sur notre territoire mas on veut aussi un lieu d’émergence et de développement artistiques ».

Ils ont créé ce projet, qui a été en partie reconstruit sur le projet de cette ferme. Une partie du corps de ferme initial a été gardé (une des anciennes granges), et la salle de spectacles a été reconstruite à côté. Entre ce corps de ferme et la salle de spectacles, il y a une verrière (notre entrée) qui est le hall de File7, dans lequel sont nos bureaux. Elle est extrêmement lumineuse et très belle.
Cette verrière a été un problème architectural énorme parce que l’Architecte a mis des mois et des mois avant de régler technique de « comment accrocher la verrière au bâtiment qui était celui de la ferme, qui n’avait pas été détruit ? »

Ce plan architectural s’appelait « Le File 7 ».

[Rires] C’est pour ça ?

C’est pour ça…

Excuse-moi mais… ils ont « craqué » les mecs ! C’est bizarre comme nom !

Ils ont choisi de baptiser la salle… du nom d’un problème !

Je ne te cache pas que quand tu me racontais l’histoire je me disais : « Mais qu’est-ce qu’elle me raconte ? Quel est le rapport avec le nom ? »

C’est ça… Quand ils se sont posé la question de comment ils allaient appeler le bâtiment, ils se sont dit : « Le truc qui nous a fait chier pendant des mois… on va baptiser la salle de ce nom-là ! ».
C’est quand même fou, quoi !

Je raconte souvent que cette salle a probablement été construite sur un cimetière indien. Les gens me regardent toujours avec des gros yeux en disant : « Mais qu’est-ce qui se passe ? »
En fait, l’histoire de la construction de ce bâtiment a été visiblement hyper complexe. Il faut savoir que quand les fondations ont été creusées, on s’est rendu compte qu’il y avait une source qui passait à l’endroit des fondations et qu’il fallait donc absolument l’assécher. Ça a mis quasiment un an : un trou a été creusé en plein milieu d’un village de 500 âmes !
Imagine la perception des habitants qui voyaient ce truc-là : on détruisait leur ferme en plein centre du village, on faisait un trou qui allait rester béant pendant un an et en plus on mettait un bâtiment de musiques actuelles dont je pense qu’ils devaient se demander ce qu’il allait y avoir dedans…

Aujourd’hui, à File7, on organise à peu près 90 jours de répétitions, filages ou jours de créations sur scène.
On faisait 40 concerts à Roubaix, à File7 on en fait plutôt entre 60 et 70.

Est-ce une bonne compréhension des choses de dire que depuis les neuf ans que tu y as passé, tu as essayé d’avoir un projet très généraliste (pour parler à tout le monde), et qu’en revanche, ce qui n’est pas du tout généraliste c’est la manière de le faire…

Effectivement. Être une femme à la tête d’un établissement labellisé par l’Etat reste encore assez rare et même trop rare. On est 12 % de femmes à la tête de Scènes de musiques actuelles labellisées en France, aujourd’hui. C’est très peu. 

Mes convictions irriguent le projet artistique. Quand je dis qu’on est un « lieu généraliste », c’est un « lieu généraliste » sur l’éventail des musiques qu’on propose. En revanche, là où je suis moins hypersensible c’est là où on le positionne, entre des « Artistes Grand Public » : des « Artistes d’appel » pour des publics qui fréquentent peu les salles de concerts, et des Artistes émergents.

C’est vrai que dans un lieu de 600 places situé en Grande Couronne, c’est toute la difficulté !
Où mettre le curseur entre le cahier des charges de la S.M.AC., qui impose de travailler sur l’émergence et la découverte (et d’être vraiment un « levier de développement artistique » pour des Musiciens qui démarrent leur carrière), et des « Artistes Grand Public » qui vont attirer des publics qui fréquentent moins nos établissements ?
C’est là que tout se joue : On a « fait » Stromae, mais on l’a « fait » devant 500 personnes, au tout début de sa carrière ! Jeanne Added était Artiste-associée à File7 en 2014, avant même la sortie de son premier album…

Par exemple, si on parle d’Artistes qui aujourd’hui sont un peu « entre les deux mondes », comme Feu! Chaterton… Ça pourrait être pour vous ça ?

Feu! Chaterton, ils ont déjà joué deux fois à File7. Une première fois en Plateau avec Radio Elvis (seul le premier E.P. [Extended Play] devait être sorti) et une deuxième fois, seuls, sur notre lancement de Saison il y a trois ou quatre ans. 

Aujourd’hui va-t-on encore « faire » Feu! Chaterton ?
Tu vois, par exemple, « Feu! Chaterton en Seine-et-Marne » va se jouer sur la Scène Nationale…

Et voilà !

… et c’est normal, en fait ! C’est notre histoire : se positionner à cet « endroit-là » du développement des Groupes. Dire qu’on est plutôt sur l’émergence, sur le développement, et qu’on n’a pas forcément vocation à faire tout le temps du « complet ».
 Evidemment, il faut qu’on fasse des concerts complets et qu’on ait des « concerts d’appel » qui permettent à des publics plus populaires de se retrouver dans des Programmations qui leur parlent, mais notre travail est aussi et surtout de se situer à « l’endroit d’émergence » et d’être un « tremplin » pour ces artistes.

C’est génial !
Quand j’étais petit, j’écoutais « Bernard Lenoir, l’inrockuptible » sur France Inter. C’est là où j’essayais de comprendre un peu « ce qui bougeait », ce que je pouvais aller découvrir et mettre de nouveau dans mes oreilles. Finalement, c’est un peu votre métier de faire ça sur scène…

C’est exactement ça. 

Quand j’étais gamine et que j’étudiais à Toulouse, tous les Artistes dont Bernard Lenoir parlait à l’époque étaient des Artistes que j’allais voir au Bikini. Je séchais les cours le lendemain matin parce que je n’étais pas capable de me lever. 

Je pense que mon « moteur » (en tout cas, là où je pense que je suis « bonne »), c’est d’essayer d’être vraiment à cet « endroit », de dénicher des projets qui vont se développer et les accompagner à leur développement.

Comme tu le disais très justement, vous n’êtes malheureusement pas encore beaucoup à diriger des S.M.AC. ou ce genre d’endroit. Quand on dirige une S.M.AC., on peut mettre en place des choses qui nous tiennent à cœur. C’est ce que tu as fait.
Je suis tombé sur le Plan d’égalité de File7… Concrètement, c’est quoi « l’égalité » quand on travaille dans un lieu comme ça ?

Comme on en parlait tout à l’heure, c’est vrai que la question de la place des femmes-artistes ou même des équipes administratives dans nos « lieux » est un sujet qui me préoccupe depuis très longtemps, depuis la rédaction de ce mémoire (qui est d’ailleurs toujours disponible même s’il fête ses dix ans cette année).
Ce travail sur la Déclaration de l’égalité est né de l’impulsion de l’équipe. C’est une vraie fierté que d’avoir réussi à « infuser » ça à l’équipe !

Quand je suis arrivée à File7 en 2012, j’étais très « porte-étendard » de ces questions-là dans les réseaux professionnels, les fédérations et les syndicats. J’étais probablement parmi les premières à porter cette question-là. Je me déplaçais beaucoup en région pour parler de ces questions. L’équipe le savait et le soutenait. Je pense qu’elle était même probablement assez fière de cela, mais je ne voulais pas imposer à l’équipe de travailler sur ces questions-là.

Je pense qu’on travaille mieux avec les gens quand les sujets sont partagés et quand on n’est pas dans un « management descendant ». A chaque fois qu’on a travaillé sur des sujets transversaux à l’équipe, j’ai essayé de les partager le plus possible avec eux. Je pense qu’il y a eu « l’effet Weinstein », en fait. Quand l’affaire a éclaté dans le Cinéma, la Musique s’est quand même trouvée très bouleversée par ces questionnements, et de se dire : « Finalement, ça va nous arriver quand ? Qu’est-ce qui va se passer ? »

Quatre ans après mon arrivée, on mesurait déjà nos statistiques. J’y faisais déjà énormément attention sur le volet Création : quand j’accueillais des équipes artistiques, je faisais attention à essayer d’avoir des projets autant portés par des femmes que par des hommes. J’y faisais également attention sur le volet de la Programmation.
On mesurait nos statistiques mais en fait le travail s’arrêtait presque là…

Quand l’équipe m’a dit : « On a envie de travailler sur ces questions-là, d’aller plus loin, de s’interroger, de créer des documents… », on a travaillé avec Cécile Bonthonneau qui a monté une « boîte » à Grenoble qui s’appelle Plus Egales, et fait plusieurs jours d’intervention dans des structures pour poser les enjeux de l’égalité dans le milieu de la Culture principalement. 

En fait, ce travail est vraiment né d’un travail de recherches, à la fois pour poser le constat (où est-ce qu’on en était ?) et aussi pour inscrire des chiffres et des actions sur une Déclaration qui nous forçait à nous mettre au travail collectivement et à aller encore plus loin qu’une simple de mesure des statistiques.

Il faut la lire ! Il y a vraiment plein de détails.
Ça touche à la fois le « sexisme ordinaire » au travail, l’accompagnement des Musiciennes du territoire, les spectatrices dans le public et plein d’autres choses. C’est très concret, avec des actions concrètes à chaque fois.

Oui, c’était un peu le constat qui était fait. Entre 2012 et 2016, on était beaucoup sur les constats (on mesure les statistiques, on regarde, etc.). Au bout d’un moment, quand on a tous été d’accord pour dire que c’était « catastrophique » et qu’il fallait vraiment mener des actions, on s’est dit : « Il faut avoir un plan d’actions et mettre en place des actions très concrètes ».

En fait, ce Plan d’Egalité reprend toute une série d’actions très concrètes pour essayer de faire bouger les choses.

Le temps de l’observation est passé !

Tout à fait !

On arrive déjà à la fin de ce « Sold Out » … On aurait mille autres choses à dire, mais je disais « militante » dans les premiers mots de cet épisode… La cause de l’égalité et, plus précisément de la place des femmes n’est pas ta seule cause. Je sais que tu es aussi très sensible à d’autres causes comme celle de la santé mentale des Musiciens notamment.

J’aimerais bien qu’on s’en dise deux mots parce que j’ai l’impression que là-dessus, en France, on est un petit peu en retard par rapport à d’autres pays et notamment le Royaume-Uni…

Oui, je pense qu’en période de COVID-19 se sont des questions qui reviennent de manière très forte, « en boomerang » chez les gens qui côtoient les Musiciens.
C’est presque une extension de ces questions d’égalité. La question de l’égalité, on peut la prendre de manière beaucoup plus transversale, sur toute la réflexion autour de la R.S.O (Responsabilité sociétale des organisations).
Parmi les questions qui peuvent être abordées au sein de la R.S.O. (on est une Association Loi 1901 donc on se revendique de l’économie sociale et solidaire), il y a l’égalité des genres, la question de l’Environnement : la gestion des ressources et l’impact qu’on a sur notre Environnement et aussi les questions de Santé au Travail et de Management.
Au fur et à mesure, on « tire les fils » et on réfléchit avec l’équipe à : « Qu’est-ce qu’il faut qu’on améliore dans nos lieux ? ».
On se rend compte que la question de la Santé au Travail est effectivement cruciale.

Ce secteur est né de personnalités qui étaient militantes. Je pense que tous les gens qui travaillent dans le milieu de la Musique sont des gens totalement passionnés. Parfois, la passion rend les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle complètement floue. Quand j’ai démarré au Triptyque, je pense que je pouvais être capable de travailler 10 à 15 heures par jour sans vraiment compter. Je pense que ça a pu me mettre en danger à certains moments.

Là, c’est surtout la question de la santé des Musiciens qui me préoccupe beaucoup. C’est ce que je te disais tout à l’heure, notre modèle économique nous a beaucoup protégé pendant la crise. On est un « lieu » qui a la chance d’être très soutenu, avec un modèle subventionné à 80 %. Les salaires ont donc pu être maintenus. Certes, l’équipe a subi une grande souffrance psychique parce qu’on a dû annuler, faire, défaire et refaire sans visibilité, parfois avec beaucoup de mépris, etc. mais les Musiciens, eux, ont vu leur activité s’arrêter complètement et leur économie, leurs ressources, totalement dégringoler.

Je crois que les gens ne se rendent pas bien compte que l’année blanche a été un « faux cadeau » fait aux artistes et intermittents. Je dis « faux cadeau » parce que l’opinion publique et « les gens » (et quand tu « discutes avec ta grand-mère »…) disent : « C’est bon ! Les intermittents ont eu l’année blanche, leurs revenus ont été maintenus ! ». En fait, non. Leurs revenus n’ont pas été maintenus : leurs revenus minimums ont été maintenus. Les Musiciens et Techniciens du Spectacle Vivant, les Acteurs, les Actrices et tout le milieu du Spectacle ont vu une basse de revenu entre 30 % et 60 % !
Quand tu vis en Région Parisienne, que tu es Musicien Professionnel, que tu as deux enfants, un appartement (et même quand tu vis à la campagne en fait !) et que tu perds autant de tes revenus, ça te met dans une énorme précarité : tu te retrouves du jour au lendemain sans activité, avec même parfois l’impossibilité d’aller répéter dans ton studio !
Il y a eu des longues périodes où les studios étaient fermés : les musiciens ne pouvaient même pas être dans une période de création ! Certains se sont retrouvés financièrement en difficulté et en plus sans travail et sans perspective !

Finalement, ce que tu es en train de nous dire, c’est que tous ces sujets de responsabilité sociétale de l’entreprise (dont on parle beaucoup pour les grosses entreprises : les fameuses entreprises à missions, ces B Corp… on en a beaucoup parlé pour Danone et pour d’autres « boîtes »), c’est aussi un sujet qui va s’imposer dans « l’agenda » du monde du Spectacle Vivant, qu’il soit privé ou public…

Oui, c’est un sujet qui émerge depuis déjà quelques années, mais je pense que là il y a une vraie urgence à travailler sur la question de la Santé au Travail et surtout d’examiner précisément comment se passe la question du travail dans le Spectacle Vivant.

On hérite de ces « métiers-passions » mais on est aussi dans un contexte professionnel, avec les questions de l’alcool et de la drogue sur le lieu de travail, la question de la fatigue psychique, la question du Management : quand on est Directeur ou Directrice de « lieu », comment accompagne-t-on ses équipes, comment les forme-t-on ?
Ce sont des questions qui méritent d’être posées plus finement !

La question « rituelle » pour finir « Sold Out » : si on pense à une jeune personne qui a envie d’entrer dans ce monde-là, penses-tu que ces questions seront éclaircies pour elle ? L’encouragerais-tu à entrer dans le monde du Spectacle Vivant ?

Carrément !

Ce qui est génial c’est que je vois que la question de l’égalité, par exemple sur les plus jeunes générations, est totalement intégrée. Ils ont vraiment « compris un truc » sur ces questions-là qui se posent beaucoup moins que sur les générations plus anciennes.
Après… comment se projeter aujourd’hui dans un milieu qui est totalement à l’arrêt depuis un an ?
Quel va être l’avenir du Spectacle Vivant… ou « Mort » ? Quand les concerts « debout » vont-ils reprendre ?

On parle des festivals « assis », mais notre métier c’est de faire du spectacle « debout » !
Il y a là-dessus un enjeu politique à ne pas lâcher. Il faut que ça reprenne !

Merci beaucoup Bénédicte !

De rien, c’était avec plaisir !

A bientôt !

Au revoir !

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